SOCIÉTÉ D'ÉTUDES BENJAMIN FONDANE

Fondane sous l'Occupation N° 8

Le dossier de naturalisation de Benjamin Fondane

Jean-Yves Conrad

Dans le cadre de l’écriture de mon livre Roumanie, capitale … Paris (Oxus, 2003), je me suis efforcé de faire reposer sur des documents incontestables les biographies des Roumaines et Roumains que j’ai décrits : actes de naissance, de mariage et de décès, mais aussi dossiers de naturalisation, documents d’archives et témoignages.

C’est au cours de cette phase de recherche que j’ai accédé au dossier de naturalisation du Département de la Seine de Benjamin Vecsler, dit Fundoiano, après m’être enquis de la date de naturalisation dans le livre récapitulatif Liste alphabétique des personnes ayant acquis ou perdu la nationalité française par décret (Naturalisations, réintégrations, libérations des liens d’allégeance, etc.) – Années 1931 à 1940, publié à l’Imprimerie Nationale, ouvrage dans lequel j’ai cherché les cotes de ce dossier pour pouvoir y accéder.[1]

Ce dossier de naturalisation (décret du 16 juin 1938) est conservé au Centre des Archives Contemporaines de Fontainebleau et a été enregistré au Bureau du Sceau du Ministère de la Justice le 30 avril 1937 sous le numéro 5262 X 1937. (Cote des archives contemporaines : 1977 0892 art. 115).

Il comporte les pièces suivantes, insérées dans la chemise orange du bureau du sceau :

  1. La lettre de sollicitation de naturalisation de Benjamin Fondane (LB11609), datée de novembre 1934 (1 p.).
  2. Le document questionnaire en feuille double recto-verso, annoté, daté du 17 décembre 1934, portant l’avis motivé du Commissaire de  police du Quartier St-Victor, en date du 19 décembre 1934 : « Cette demande n’offre aucun intérêt. Le postulant n’a rendu aucun service. Je propose le    rejet. » (4 p.).
  3. La transcription française de l’extrait du registre des actes de naissance pour l’année 1898 (EH82231) de la municipalité de Jassy (1 p.).
  4. La transcription française (10 mars 1936) de l’extrait du certificat de dispense militaire du 20 mai 1925 relatif à Benjamin Vexler (1 p. recto-  verso).
  5. L’extrait de l’acte de mariage du 28 juillet 1931 de Benjamin Vecsler avec Geneviève Pauline Tissier, dressé à la mairie de St-Jean-d’Arvey   (Savoie). [2]
  6. La déclaration sur l’honneur de non condamnation, signée Vecsler Fondane Benjamin (1/2 p.)
  7. La traduction de la carte de membre de la Société des Gens de Lettres Roumains n° 12/3 1923 signée par le Président de la Société, Liviu  Rebreanu, et le Secrétaire, Vintila Russu Sirianu (1/2 p.).
  8. Le certificat de location au n° 6 rue Rollin délivré en date du 9 mars 1936 par le gérant d’immeuble J. Goulé, administrateur d’immeubles au 119 rue Saint-Antoine (1/2 p.).
  9. L’avis motivé n° 843.618 en date du 13 avril 1937 du Préfet de Police à l’attention de la Chancellerie, précisant que « En raison des bons renseignements recueillis sur le pétitionnaire, je ne m’oppose pas à ce que sa requête soit prise en considération » (1 p.).
  10. La convocation de Benjamin Fondane au Bureau du Sceau en date du 30 avril 1937 (1/2 p.).
  11. Le certificat de bonne santé délivré en date du 25 mai 1937 à Benjamin Fondane par le Docteur A. Moulin, médecin assermenté, en vue de   naturalisation (1/2 p.).
  12. Le Bordereau de Situation des Contributions Directes et Taxes Diverses du Quartier Jardin-des-Plantes & Saint-Victor du 5PèmeParr. en date  du 20 janvier 1937 récapitulatif des taxes payées par  Mr. Vecsler Fundoiano (1/2 p.).
  13. L’avis (26 mai 1937) du Bureau du Sceau portant mention des différentes motivations enregistrées lors de l’enquête : « Bons renseignements, assiduité. Préfet ne s’oppose pas. Proposition naturaliser. Droits entiers à mettre au décret sous le nom de Vecsler (Benjamin). Vu les bons renseignements, la   longue résidence, la nationalité française de la femme » (1 p.).
  14. Le document n° 843.613 portant mention des renseignements généraux d’identité de Benjamin Vecsler dit Fundoiano et de son épouse  Tissier Geneviève-Pauline (1 p.).
  15. La demande d’avis du Ministère de la Justice à l’Education Nationale en date du 1 juin 1937 (1 p.).
  16. La lettre de réponse favorable (« J’ai l’honneur de vous faire connaître que je ne vois pas d’inconvénient à ce qu’une suite favorable soit donnée à cette   demande ») du Ministre de l’Education Nationale en date du 2 juillet 1937 (1 p.).
  17. L’état des services pendant la guerre 1939-1940 communiquée par la sœur de Vecsler dit Fondane Benjamin (Line, Vve Pascal) (1 p.). [3]
  18. La lettre du préfet de police n° 12875 adressée au Garde des Sceaux en date du 6 février 1942 et relatif à la Révision de Naturalisation de  Vecsler dit Fundoianu Benjamin, avec notice de renseignements jointe : « Vecsler n’est pas israëlite aux termes de la loi du 2 juin 1941. Sa femme   est de religion catholique. Les renseignements recueillis sur les époux Vecsler sont favorables, tant au point de vue conduite et moralité qu’au point de vue  politique et national. Leur loyalisme envers notre pays ne semble pas sujet à caution. Sans antécédents judiciaires, ils ne sont pas notés à nos divers services   administratifs. » (2 p.).

Outre l’acte de mariage signé par Monsieur Grangeat, Maire de St-Jean d’Arvey (Savoie), il paraît intéressant de souligner les renseignements favorables adressés par le Préfet de Police au Garde des Sceaux dans le cadre de la Révision de Naturalisation demandée à la suite de la loi du 2 juin 1941. Il nous reste à approfondir ces éléments, notamment en Savoie et dans les Archives de Vichy.

Remarques de la rédaction

1.   Dès novembre 1934 Fondane avait sollicité la nationalité française. La réponse favorable ne parvint que le 2 juillet 1937. Une lettre de Fondane à Jean Ballard, directeur des Cahiers du Sud, écrite le 29 mars 1938, nous apprend que le montant des droits de sceau afférents à la naturalisation s'élevaient à 2.024 francs. Comme Fondane ne possédait pas cette somme, il demanda à Ballard si les Cahiers du Sud pouvaient envisager une souscription en sa faveur. Jean Ballard envoya une lettre circulaire aux amis des Cahiers du Sud. L'on peut consulter à ce sujet les lettres 75 à 80 publiées dans le volume : Benjamin Fondane et les Cahiers du Sud, Bucarest, éditions de la Fondation Culturelle Roumaine, 1998.

Parmi les contributeurs, l'on relève les noms de R. Bespaloff, C. Brancusi, R. de Jouvenel, L. Lévy-Bruhl, I. de Manziarly, A. Schiffrin, et J. Wahl.

2.   Une notice de la révision de naturalisation à la date du 6 février 1942 affirme que Fondane n’était pas considéré comme israélite au termes de la loi du 2 juin 1941. Ces décisions étaient arbitraires et dépendaient de la bonne volonté des fonctionnaires. Ajoutons que la loi du 17 juillet 1943 retira la nationalité française aux Juifs naturalisés après le 10 août 1927.

3.     En outre, ce dossier nous révèle divers détails intéressants :

- La date de naissance de Fondane : étant donné qu'il est né à 1h du matin, l'on comprend pourquoi figure tantôt la date du 14, tantôt celle du 15 novembre.

- La profession du père de Fondane reste vague : "voyageur".

- Le fait que le mariage de Fondane eut lieu à St. Jean d'Arvey, et non à Paris, comme nous le supposions jusqu'à présent.

- Les dates précises concernant le service armé durant la guerre : incorporé le 10 février 1940, fait prisonnier sur la Loire le 17 juin 1940, hospitalisé au Val de  Grâce pour appendicite gangréneuse[4] en septembre 1940, et démobilisé le 13 février 1941.

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[1] Tout dossier de naturalisation de moins de 60 ans d’âge est soumis à autorisation préalable

[2] Un acte de mariage intégral ne peut être délivré à une tierce personne extérieure aux ayants droit des époux s’il a moins de 100 ans.

[3] L’écriture est toutefois celle de Geneviève Fondane.

[4] Curieusement, le dossier médical du Val de Grâce mentionne "un ulcère duodénal".