SOCIÉTÉ D'ÉTUDES BENJAMIN FONDANE

Relectures du Mal des Fantômes - Fondane lecteur N° 19

Éditorial

Il est des lieux où le temps s’arrête. Peyresq est de ceux-là. A la fin d’une semaine, nous avons la sensation d’y être restés une éternité. Quinzième rencontre de Peyresq. Et pourtant la recherche véritable ne fait que commencer : avec Fondane, l’on n’arrive jamais et l’on repart toujours.
Ainsi, ce Mal des fantômes auquel nous avons consacré la première partie de notre séminaire. Nous avions tous l’impression de n’avoir jamais vraiment lu ce poème de 42-43, même si nous en connaissions des vers par coeur. Car ce poème nous résiste, il nous harcèle : Qui, ILS ? Qui, NOUS ?Monique Jutrin et Agnès Lhermitte ont tenté d’établir quelques faits : genèse du texte, issu de la récriture d’Ulysse, état des manuscrits, variantes, structures lyriques. Elisabeth Stambor a centré sa lecture sur les thèmes de l’injustice et de la justice divines en se fondant sur les matrices bibliques. C’est le thème du gilgul qui a attiré l’attention de Saralev Hollander : il s’agit de la transmigration des âmes, telle qu’elle est présentée dans la kabbale d’Isaac Luria. Quant à Evelyne Namenwirth, elle a découvert d’étonnantes affinités avec la Nuit obscure de Jean de la Croix. Un article de Gisèle Vanhese sur la Sulamite de la neuvième séquence d’Ulyssse, liée au pogrom de Kichinev, complète nos réflexions sur le Mal des fantômes. Enfin, Eric de Lussy a présenté le cadre historique dans lequel s’inscrit cette poésie, en particulier les terribles pogroms de Bucarest et de Jassy en 1941. A cet effet, il a parcouru la presse française de 1941. A présent nous sommes persuadés que ces évènements n’ont pu être ignorés par Fondane. Ils ont dû l’affecter profondément, de sorte que l’on en trouve de multiples échos dans sa poésie, jusque dans la Préface en prose.
La seconde session fut centrée sur Fondane lecteur. Dans son exposé sur « Fondane lecteur et critique de Bachelard », Jean Dhombres nous livra ses réflexions sur cette métaphysique impensée que dissimule toute pensée scientifique. Et Alice Gonzi, prenant pour point de départ les réflexions de Chestov sur le mythe d’Anaximandre et la figure de Socrate, souligna cette secrète fêlure que Fondane discerna chez Platon dans Phèdre, Ion ou La République. C’est Le Puits de Maule qui a captivé Serge Nicolas. Il nous en a proposé une lecture nouvelle, insérant la pièce dans le contexte des préoccupations de Fondane à l’époque et révélant son lien avec Le Mal des fantômes. La contribution de Francine Kaufmann est consacrée à Heine, un auteur qui fascina Fondane dès son adolescence. La traduction par Carmen Oszi d’un texte de Brunea-Fox relatant sa rencontre avec Fondane en 1910 éclaire cette fascination. Margaret Teboul montra comment les conceptions de Fondane et de Jean Wahl sur la poésie peuvent se rejoindre, soulignant les convergences entre les deux penseurs. Aurélien Demars éclaira la figure d’Edouard Roditi, qui découvrit Ulysse en 1933 et lui voua une fidélité sous des formes diverses. Quant à Luigi Azzariti, il nous a confié ses considérations sur le Gouffre de Fondane, dans une vaste perspective philosophique.
Lors de la session roumaine, Carmen Oszi scruta des articles écrits après la Grande Guerre (1919-1922), dévoilant l’amorce d’une pensée qui se développera au long des années 30. Une lecture attentive de trois brochures écrites par des pragmatistes roumains, auxquelles Fondane consacra un article en 1919, permit à Aurélien Demars de constater que Fondane y avait discerné la perversité d’une pensée nationaliste sous le couvert de la philosophie.
Temps troué, nuit obscure, fantômes : un lecteur attentif perecevra de multiples échos entre les divers articles de ce Cahier. Ceci confirme que nous formons une véritable équipe dans notre réflexion sur cette oeuvre.
Nos plus vifs remerciements à tous ceux qui nous fournirent de précieux éléments de documentation : Levana Henrion, Gheorghe Samoila, Roxana Sorescu, Jean-François Pinet.
Le 15 août, Jacques Kraemer présenta son spectacle : Le Fantôme de Benjamin Fondane dans la petite église de Peyresq, dont les voûtes entendirent cette singulière prière :

Et le dieu existe-t-il, le Dieu
d’Isaïe, qui esuiera toute larme des yeux
et qui vaincra la mort –

Jacques Kraemer nous confia combien forte fut son émotion de faire entendre la voix de Fondane en ce lieu. Et si cette voix continue à nous empoigner, c’est qu’elle reste étonnamment actuelle et résonne de significations neuves. Ce mal dont souffrent les fantômes n’est-il pas aussi celui de l’homme désincarné dans un monde virtuel ?
Nous tenons à remercier celles qui veillèrent au bien-­être du corps : Dominique Guedj dirigea une séance de Tchi-Kong et Evelyne Namenwirth prodigua des séances de souffle-voix. Elle mena également une randonnée sur le Courradour. Heidi Traendlin s’en souvient : « De notre randonnée de l’avant-dernier jour, la descente préfigurait déjà le retour vers les rumeurs de la ville, à Nice puis à Paris ; sur le sentier, dans le clair-obscur du sous-bois, des champignons aux chapeaux ronds et dorés encore tout frissonnants d’humidité venaient de sortir de terre. J’entends le vent qui balaie les nuages dans le ciel et le murmure de ces instants solaires. »