SOCIÉTÉ D'ÉTUDES BENJAMIN FONDANE

Benjamin Fondane lecteur de la Bible N° 16

Présentation de manuscrits

Speranţa Milancovici

PRÉSENTATION DE MANUSCRITS CONSERVÉS À LA BIBLIOTHÈQUE DE L’ACADÉMIE ROUMAINE ET DANS LES ARCHIVES VLADIMIR PANĂ


Les manuscrits de Benjamin Fundoianu / Fondane conservés à la Bibliothèque de l’Académie Roumaine sont presque tous rédigés en roumain, à quelques exceptions près ; en majorité inédits, certains ont été totalement ou partiellement publiés. Nous avons identifié quatre dossiers, comprenant différents types de textes. Il s’agit du fonds Felix Aderca (IV, MS 62 a-c) et (S 28 (1-10) DCCCXV), du fonds Ovid Densuşianu, (S 37 (1-6) DXXXVIII) et Liviu Rebreanu (S 54 (3) CMLXI. Le nombre total des pages manuscrites ou dactylographiées  dépasse la trentaine. 
Dans les archives de Vladimir Pană, il y a des lettres de Benjamin Fondane rédigées en français, avec une exception : une  lettre à  Stefan Roll. Il y a aussi une photo signée par Fondane. Nous avons la certitude qu’il y a  encore d’autres manuscrits de Fondane parmi les archives de Saşă Pană. Toutefois Vladimir Pană n’a pu les retrouver jusqu’à présent. Nous le remercions de son aide.

A.  Manuscrits de la Bibliothèque de l’Académie Roumaine

I. Fonds Felix Aderca, IV, MS 62 a-c.

Poèmes :
Spleen – variante de la version publiée ;  elle figure partiellement  sous le titre de Urâtul (La laideur). – signé : 1921, Buc., B. Fundoianu.
Privelişti – variante presque identique à la version publiée de  Eveniment. – signé : 1917, Iaşi,  B. Fundoianu. 
Alte privelişti – variante présentant de légères différences avec  Rugă simplă. – signé : 1921 : Buc., B. Fundoianu.

II. Fonds Felix Aderca
, S 28 (I-IC), DCCCXV. 

Correspondance entre Fondane et Aderca. Ces lettres ont été  traduites et commentées par Hélène Lenz dans les Cahiers Benjamin Fondane 4/2000-20001, pp. 67-77. Ce fonds contient aussi :

Lettre de Denoël à Fondane (10 juin 1937) – réponse négative à la demande de publication d’une traduction d’un texte de Felix Aderca : Blanche et ses amis noirs.
Lettre  de Denoël à Aderca (Paris, 5 juillet 1937).
Sélection de coupures de presse concernant Rimbaud le voyou, e.a. l’article de Jean Cassou dans Les Nouvelles Littéraires du 23 décembre 1933.
Carte postale datée du  23 avril 1924,  à Aderca.

III. Fonds Ovid Densuşianu, S 37 (1-6) DXXXVIII

Six lettres de B. Fundoianu, envoyées de Jassy à Ovid Densuşianu, directeur de la revue littéraire Vieaţa nouă, qui encouragea les débuts du jeune poète.

Lettre du 23 septembre 1914.
« A Mr Ovid Densuşianu
Un élève de 16 ans – j’indique l’âge comme excuse, non comme mérite – vous envoie quelques poèmes ‘des péchés de jeunesse’, avec la prière de les publier dans votre revue, si – évidemment -  ils répondent à vos exigences. Il espère recevoir une réponse donnant votre avis autorisé. 
Avec une estime particulière et de l’admiration. »

Lettre du 27 novembre 1914.
« Distingué Monsieur Densuşianu,
A la suite de la publication des deux poèmes (dans le No d’octobre), quelques poèmes du sort desquels je ne sais rien sont restés chez vous. Il est évident que des poèmes comme la traduction de Baudelaire et Rondel de toamnă ne seront pas publiés ; quant à la traduction de Verlaine et le poème Abis, s’ils sont  publiés,  je vous prie de changer leurs titres : le premier en Coloqui sentimental  et  le second en Profanare.
J’espère que vous m’annoncerez leur publication, afin que je puisse vous envoyer d’autres poèmes, ou traductions (j’en ai  donné aussi à la revue Versuri şi  Proza) plus réussis. »

Lettre du 17 janvier 1915.
« Distingué Monsieur Densuşianu,
Comme je vous l’ai annoncé, je vous envoie la variante du  poème  Profanare, qui, dans le manuscrit se trouvant  chez vous, porte le titre d’Abis, variante par laquelle je reviens au rythme classique.
Je vous prierais aussi – si  possible – de ne pas trop attendre pour le publier, car à  mon âge, j’évolue à chaque poème, de sorte qu’un poème publié avec retard pourrait signifier une forme de régression. »
Lettre du 25 février 1915.
« Distingué Monsieur Densuşianu,
Je regrette que  Profanare ne  me soit parvenu que maintenant, lorsque je n’ai plus le temps de le corriger – car avec tous ses défauts, faciles à corriger, il est bien supérieur aux poèmes que j’ai publiés jusqu’à maintenant.
Je vous envoie deux poèmes Elegie et Terţine que je préférerais voir publiés dans le prochain numéro. Si ce n’est pas le cas, j’enverrai aussi Profanare afin qu’il paraisse  dans les numéros suivants. »

Lettre du 6  novembre 1915.
« Distingué M. Densuşianu,
Cela fait un an que j’ai paru pour la première fois dans les pages de votre revue sous votre bienveillante hospitalité et protection.
C’était lorsque l’automne infusait dans ma chair une somnolence maladive – avec une chanson d’automne.
Ensuite … des circonstances qu’encore aujourd’hui je ne m’explique pas ont interrompu nos relations, si simplement commencées.
Un an s’est écoulé ; beaucoup de choses ont changé ; j’ai dix-sept ans maintenant. Aujourd’hui j’écris encore. Demain, qui sait… ? Ne  croyez pas que pour prendre la  route il est nécessaire de recevoir un conseil, un encouragement ?
Une revue littéraire venait de m’écrire que mes poèmes « pour certains goûts littéraires peuvent provoquer même des sensations intenses ».
Mais combien exercent consciemment et avec intelligence ces ‘goûts littéraires’-là ? Vous êtes à la  tête du nouveau courant comme poète et comme théoricien[1]. Un accueil [en français] bienveillant  de votre part serait pour moi un encouragement pour l’avenir.
Est-ce que je peux espérer une reprise de la collaboration à votre revue ?
Avec mon admiration particulière,  »
    
Lettre sans date.
« Distingué Monsieur Densuşianu,
J’ai reçu avec  joie votre lettre. Quant aux corrections faites, je les reçois telles quelles sont parce que je n’ai pas le temps de les retoucher, en considérant qu’elles n’altèrent  ni le sens, ni mon idée. Je voudrais seulement changer le titre en un mot qui exprime, comme  Nevroza,  l’état d’esprit où j’ai été en écrivant ce  poème. Mais comme je n’en trouve en ce moment pas d’autre, j’admets le vers de la deuxième strophe  ‘Viennent des nuages comme des instants’,  bien que je croie qu’il est beaucoup plus juste d’utiliser comme titre le premier vers : ‘Viennent les nuages…’.
En même temps je vous envoie encore un poème original  qui tient de votre courant par son rythme libre. »


IV. Correspondance avec  Liviu Rebreanu
[2], S 54 (1-3), CMXI.

Trois lettres en roumain. Cette correspondance nous apprend que Fondane espérait poursuivre une collaboration avec le monde littéraire roumain et jouer un rôle d’ambassadeur de la littérature roumaine en France.

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Rue Jacob, 15. Cachet de la poste : 30 janvier 1924.

«  Cher maître,
J’ai attendu un moment de  répit plus favorable à l’inspiration épistolaire, afin de pouvoir t’écrire et te remercier. Mais je cours toujours, et je vais courir encore. D’ailleurs c’était prévisible ; ayant mal préparé mon lit à Bucarest, je dors mal ici. Il s’agit seulement de la situation matérielle ; en ce qui concerne l’autre, je ne puis affirmer la même chose ;  connaître, l’une  après l’autre, les idoles dont  je rêvais à Bucarest, ce n’est pas peu de chose. Je respire et cela me fait du bien. Seulement le poumon qui respire prétend aussi être nourri.
Je crois que, dans peu de temps, je pourrai commencer à travailler ici. Mais il me faut encore vaincre l’obstacle de la langue – et il n’y a personne ici qui puisse te traduire en français. En attendant je garde l’espoir que ce que l’on m’a promis à Bucarest se réalisera un jour ; j’ai envoyé au Directeur général une correspondance très documentée il y a une semaine. Si la réponse va trop tarder, je suis perdu. Je n’ose pas  te demander un tel service ; je gaspille ton temps et je ne le veux pas ; attendons un peu.
Je te demande trop si je te demande de  répondre quelques mots à mes lettres ? J’aurais pu t’écrire d’une manière plus détaillée, t’informer de ce qui se passe ici et je t’aurais demandé des nouvelles de notre pays.
Ton  ami dévoué, »                                         


Paris, 9, 1929

«  Cher Monsieur Rebreanu,
Ma sœur, qui vient d’arriver du pays, me raconte votre conversation au Théâtre National ; tu aurais pu me dire facilement les mêmes choses – et encore mieux  – il y a quatre mois quand tu étais à Paris et  avant mon départ pour l’Amérique de Sud. Je rentre de ce que l’on décrit ici dans la presse comme ‘une mission d’ambassadeur de l’art français en Amérique de Sud’ et je découvre avec perplexité qu’en fait on me désigne dans un rôle de missionnaire, qui aurait pu m’être confié par un autre pays, où j’ai vécu plus d’années, et dans lequel j’ai investi beaucoup d’énergie pour le mériter. 
            Je fus tant de fois trompé, tant de fois déçu, que mon manque de confiance te semblerait, je l’espère, inexplicable ; quand j’ai quitté le pays, Valjean[3]  a exigé de moi un tas de services, que j’ai rendus, sans recevoir aucune réaction, ni rétribution. Tu m’écris que tu as sorti un volume en français – où est-il ? Est-ce que je pourrais recevoir un exemplaire, moi aussi ?
            D’autre part, rien de ce que je reçois du pays, rien de ce que l’on me prépare spontanément, n’arrive.  Six mois sont passés depuis que Vinea m’a écrit qu’il va obtenir pour moi des  ‘nervum rerum’[4], puis il m’a annoncé que, partant pour l’étranger, il a laissé mes intérêts entre les mains fiables de Rebreanu. Deux semaines plus tard, j’ai appris que toi aussi tu avais quitté Bucarest et que mes intérêts sont tombés dans le néant. Pardonne mon franc parler ; pourquoi aurais-je caché la vérité ? Peut-être que de cette manière on  comprendra mieux mon amertume légitime et mon isolement.
Mais si tu crois que les choses ont changé et que mes services peuvent vraiment intéresser la culture roumaine (mon voyage en Amérique du Sud et les relations que je me suis faites là-bas semblent ouvrir un vaste débouché) ; écris-moi tes pensées à ce sujet et ne mâche pas tes mots – quels seront les moyens les plus appropriés pour l’accomplissement d’un tel projet ici. Commence par analyser, l’ancienne promesse de l’été dernier, dont j’attends toujours la réponse. Pense aux difficultés que traverse un homme qui habite Paris,  a dépassé l’âge de trente ans et qui en a assez de la vie de bohème. Envoie-moi le volume et assure-moi que tu viendras me voir quand tu reviendras ici. Naturellement, le travail de vulgarisation dont nous avons parlé doit être souterrain, donc non signé ; je me propose de signer seulement l’œuvre de création et mon vieux rêve de traduire un jour en français    Le  Pauvre Dionis[5],  Mais de tout cela et ce que tu pourrais me proposer, nous en parlerons encore. J’attends ta lettre et je te prie, non seulement de pardonner, mais aussi d’apprécier mon courage de te parler ouvertement et cordialement.
Ton,    Fundoianu »

Paris, II, 1930
« Cher Monsieur Rebreanu,
Votre lettre est arrivée à temps ; il n’est pas nécessaire de mentionner que je ne l’attendais plus ; il  y a pourtant une providence aussi pour mes lettres. Je te remercie beaucoup pour les termes de cette lettre et pour l’amitié que tu me montres ; je te remercie pour tout ce que tu as fait et ce que tu feras pour moi ; je suis à ta disposition, selon mes moyens, pour participer à l’organisation  précise, constante, normale, de diffusion de la littérature roumaine à l’étranger. J’attends que tu sois « plus bavard », comme le promet ta lettre. A bientôt et j’espère que ne resterai plus  six mois sans avoir de tes nouvelles.
            Mes hommages à Mme Rebreanu et à votre fillette, qui a probablement grandi, dans la même mesure où nous vieillissons.
            Avec des salutations respectueuses,
            Votre,    Fundoianu »

             
B.  Les archives de Vladimir Pană

Lettres de Fondane à Claude Sernet et à Stéphane Roll :

Lettre à Nesty (Claude Sernet), s. d.
Fondane annonce qu’il ne pourra venir jeudi au rendez-vous pris avec Monny de Bouilly et propose le mercredi.
Ce message date probablement de 1928, à l’époque de sa collaboration à Discontinuité.

Lettre à Claude Sernet, datée de mai 1930.
« Cher Nesty[6], soit avec Adamov, soit avec de Bouilly, soit avec les miens, je cause souvent de toi. Amer sujet d’entretien ! Mais pourquoi diable pourrissez-vous là-bas, chasseur d’ennui, de phoques sidéraux, d’odeurs de femmes limpides et maigres ? Victor[7] s’installe ces jours-ci et réserve un divan à ton souvenir lointain. Viens ! Dépeuple de ta présence cette maudite Valachie, arrache-toi, racines et cheveux y compris. Après tout, nous t’aimons assez pour pouvoir t’engueuler de temps en temps et recueillir les bribes sonores que ta taciturnité voudra nous livrer, méprisante. Tes mains, Mieluşon »

Lettre à Claude Sernet, 8, square Léon Guillot,  Paris, 15e, s.d.
Ce message concerne la publication d’un article de Fondane et d’un poème de Sernet dans une revue belge. Il s’agit probablement de la collaboration au Journal des Poètes en 1932.
Lettre à Stefan Roll, s.d., en roumain sur papier à en-tête des Sudios Paramount.
« Cher Roll, Depuis un mois, assistant metteur en scène à Paramount. Travail à la fois mécanique et animé. Aucun temps, économie d’autres temps. Et pourtant, pour vous, un poème.
Je voudrais écrire à Evy, mais quand ? Durant trois semaines mon film (en langue tchèque) s’est tourné seulement la nuit. Le matin, je partais dès l’aube (« cu cocoşi la subţioară ») Ton, Fundoianu »

Ces archives contiennent également un pneumatique à Colomba Spirt, sœur de Claude Sernet, lui annonçant qu’Ilarie Voronca, désire la voir. Ce message date de 1926, l’année du décès de la mère d’Ilarie Voronca, dont il est fait mention. Il y a aussi une photo de Fondane datée de 1927 (Photo Martini).
           


[1] Il s’agit du courant symboliste.

[2] Liviu Rebreanu (1885-1944), écrivain, dramaturge et journaliste. A partir de 1919, il  collabore au cénacle littéraire Sburătorul dirigé par le critique Eugen Lovinescu. Il dirigea le  Théâtre National de Bucarest, de décembre 1929 à novembre 1930.  En 1929, à la demande du premier ministre, Rebreanu participe aux projets d’organisation de la Direction de l’Education du Peuple (Direcţia Educaţiei Poporului), qu’il va diriger à partir du début de 1930. En novembre 1930, à la suite de déceptions concernant la direction des affaires publiques, il démissionne. Il achète une maison et un vignoble près de Piteşti, et se consacre à l’écriture. En 1939 il est élu membre de l’Académie Roumaine. Ses principaux romans : Ion (1920), La Forêt des pendus (1922), Ciuleandra (1927), La Révolte (1932).

[3]Valjean est le pseudonyme de Ioan Al. Vasilescu (1881-1960). Magistrat, homme politique fortuné, il fréquentait le cénacle Sburătorul . De 1923 à 1925 il dirigea le Théâtre National.

[4] Nervum rerum gerendarum : allusion ironique à un poème d’Eminescu.

[5] Titre d’un poème d’Eminescu.

[6] Claude Sernet avait quitté Paris et son séjour à Bucarest se prolongeait.

[7] Victor Brauner.