SOCIÉTÉ D'ÉTUDES BENJAMIN FONDANE

Fondane lecteur N° 4

Fondane et la psychanalyse

Michaël Finkenthal

Après avoir lu l'article publié ci-dessous, un ami psychiâtre a conclu, un peu déçu, qu'il n'y a rien de neuf dans le rejet, par Fondane, de la psychanalyse freudienne, tel qu'il s'exprime dans ce texte. Il est vrai qu'un certain modernisme (pendant les années vingt et trente) rejetait Freud, tandis qu'un autre l'accueillait avec enthousiasme. L'attitude de Fondane à l'égard de la psychanalyse était parfois ambigüe; pourtant, l'auteur qui a réfléchi si profondément à "l'expérience du gouffre", ne pouvait ignorer l'importance de l'approche freudienne pour l'exploration des profondeurs de la psyché. Lorsque Fondane écrit que Madame Bonaparte et la psychanalyse pensent "que le moment est venu de toucher aux énigmes, de faire parler le Sphinx", il n'est pas nécessairement ironique; il reconnaît en fait que Freud "connaît mieux que personne la résistance des instincts primitifs de l'homme". Il ne s'attaque pas à l'idée qu'on puisse relier la crise d'une psyché blessée à des causes profondes, souterraines; ce que Fondane rejette, c'est l'idée qu'on puisse résoudre ces "états de crise" en suivant une méthode; il rejette "la philosophie primaire à laquelle elle (la psychanalyse) aboutit". Il rejette le "scientisme" de la psychanalyse freudienne, sa prétention de "résoudre" les cas difficiles, comme celui du génie, de l'esprit créateur par exellence. Il s'en prend à l'attitude, "Qu'importe Poe après tout, seul le 'cas Poe' intéresse le clinicien".

Dans le chapitre "Bergson, Freud et les Dieux", de La Conscience malheureuse (1936), Fondane s'attaque au corollaire du freudisme: "En ce qui touche aux grandes nécessités que comporte le destin, nécessités auxquelles il n'a pas des remèdes, l'homme apprendra à les subir avec résignation". Car, écrit Fondane, d'après Freud: "il n'y a pas d'instance au-dessus de la raison". Le poète et le penseur de "l'irrésignation" ne pouvait accepter une telle conclusion: non pas parce qu'on ne pouvait tenter d'accéder à Dieu à travers la raison ou à l'intérieur même de la raison - d'autres l'ont fait, de saint Thomas à Maritain; mais parce que Dieu, gouffre, "lundi existentiel" - selon Fondane et Chestov - ne peuvent être approchés qu' à travers cette pensée de participation, une pensée qui appartient à l'affectivité, où "le cri est la méthode".

La critique exprimée dans cet article de 1934 est reprise dans Baudelaire et l'expérience du gouffre, écrit presque dix ans plus tard: ici Fondane s'attaque à la prémisse psychanalyste de l'interprétation du "cas" du génie, d'une manière plus rigoureuse (j'ai failli écrire "logique", "rationnelle"!). Son argument est que le scientisme qui s'insinue dans la pensée de Freud (et dans celle de la psychanalyse en général), introduit une signification voulue, artificielle, dans les actes (ou pensées) de l'enfant: "Et ce que les psychanalystes ignorent, mais que déjà saint Paul enseignait, c'est que la peccabilité de l'acte sexuel n'existe qu'à partir de la Loi, du Savoir qui transforma un acte naturel, voire un acte divin, en une 'honte intime'. " Les poètes et les artistes deviennent des êtres qui "ont pour fonction de regretter ce que l'humanité a sublimé", le résultat étant que "le psychanalyste dénonce avec terreur je ne sais quelle pensée d'enfance passée en contrebande dans le penser logique (... ) le poète - cet adulte demeuré enfant - conserve je ne sais quelles choses que l'humanité aurait rejetées de son sein”. La conclusion que Fondane tire en 1934 aussi bien qu'en 1944, reste "qu 'il se peut que le déshérité ait une signification plus profonde que celle qu'y voit le psychanalyste". Fondane n'était donc pas "contre" la psychanalyse per se; toutefois, il a toujours rejeté l'interprétation psychanalytique du génie, du créateur, et n'a jamais accepté de résoudre le problème de la "conscience malheureuse" à travers la psychanalyse.

N. D. L. R

Sur la page de garde d’un livre de Denis de Rougement: Politique de la personne, publié en 1934, conservé dans le Fonds Gadoffre de la bibliothèque de Marne-la-Vallée, Fondane a écrit au crayon: “Il y a antinomie chez Freud, entre sa découverte de génie et ses conclusions de petit professeur plein de petits préjugés scientifiques.

Il ramène tout et au-delà à des forces immenses, obscures, déraisonnables et avec ça veut nous faire une leçon de quat’sous. Il agrandit l’homme démesurément par ses découvertes et le rapetisse misérablement par ses conclusions. Il a tellement peur que sous chaque petit mystère de ou dans l’homme, il y aura du transcendant - ou l’on supposera du transcendant - qu’il préfère nier le mystère, en l’expliquant tout de suite”.