SOCIÉTÉ D'ÉTUDES BENJAMIN FONDANE

Une bibliothèque vivante - Fondane et la Grande Guerre N° 18

Annotations de Fondane dans sa bible roumaine

Elisabeth Stambor

Le périple d’une bible

Cette bible, Geneviève l’avait gardée parmi les ouvrages qu’elle avait emportés avec elle au couvent de Notre-Dame de la Solitude à Evry, où elle a été conservée jusqu’à ce qu’elle soit confiée à la Société d’Études Benjamin Fondane le 25 avril 2014.
C’est en 1996, lors d’une visiteau couvent deNotre-Dame de la Solitude que j’avais pour la première fois tenu en mains, très émue, cet ouvrage. Je découvris qu’il contenait maintes annotations de la main de son propriétaire. J’avais alors entrepris un travail de recensement des annotations, et c’est pour mener à terme ce projet que la bible de Fondane m’a été confiée avant qu’elle ne trouve sa place dans une bibliothèque accueillante.

 

Présentation du volume

Il s’agit d’une bible de dimensions moyennes : 21 centimètres de haut, 14 de large et environ 4 centimètres d’épaisseur. Bible chrétienne, sa couverture rigide de couleur noire présente une croix fleurdelisée sur la couverture.
Cette édition de 1915 fut publiée à Bucarest, financée par la Société biblique britannique et étrangère (British and Foreign Bible Society)[1], mais le travail typographique fut exécuté à Budapest. Elle présente le texte de l’Ancien et du Nouveau Testament. L’Ancien Testament comporte 809 pages et le Nouveau 230 pages. La page de titre commune à l’Ancien et au Nouveau Testament (Saintes Écritures) est suivie du sommaire[2] de l’Ancien Testament, mais on découvre qu’une seconde page de titre précède le texte du Nouveau Testament. Comme pour la première partie de cette bible, un sommaire présente la liste des Écrits et le nombre des chapitres. Enfin, sur une autre page, juste avant le texte du premier Évangile, sont données des indications concernant la traduction du texte. Nous apprenons que la traduction a été faite à partir de « la langue originale greque » par l’Archevêque et Primat métropolitain Ghenadie et le Dr. N. Nitzulescu, professeur à la faculté de théologie, « sub DOMNIA M. S. CAROL I. REGELE ROMÂNIEI » (sous l’égide du roi Charles 1er de Roumanie).
Le texte biblique est écrit sur deux colonnes, séparées par une gouttière marquée par un filet. À la fin du volume ont été ajoutées quatre cartes en couleur[3] , « în scopul explicării » (à des fins explicatives) : 1. ISTORIEI TESTAMENTULUI VECHIU dimpreuna cu ŢERILE CAPTIVITĂTII (ROBIEI), carte historique de l’Ancien Testament ; 2. CANAAN DUPĂ ÎMPĂRŢEALA IN DOUESPREDECE SEMINŢII, le partage du territoire entre les douze tribus d’Israël ; 3. PĂMÊNTUL SFÂNT DIN TIMPURILE MÂNTUITORULUI NOSTRU (Monde au temps de Notre Sauveur); 4. ISTORIEI ŞI EPISTOLELOR APOSTOLILOR (Histoire des épîtres des apôtres).
L’ordre des Livres bibliques dans l’Ancien Testament est celui que l’on trouve dans les bibles chrétiennes, catholiques ou protestantes et non pas dans les bibles orthodoxes, comme on aurait pu le supposer. On n’y trouve pas les livres apocryphes ce qui semble indiquer qu’il s’agit d’une bible correspondant au canon protestant. Cela s’explique sans doute par le fait que la publication a été réalisée grâce au soutien d’une société biblique anglicane[4].

Les annotations

Dans cet article. il sera question des annotations trouvées dans les livres de l’Ancien Testament et dans l’Évangile selon Matthieu, premier livre du Nouveau Testament, seul texte annoté dans cette partie du volume. Les annotations sont en majorité constituées de signes graphiques – traits verticaux, crochets plus ou moins arrondis, petites formes elliptiques, petites croix – mais on trouve aussi parfois des mots ou phrases soulignés,[5] et des mots[6] ou des chiffres de la main de Fondane. On remarque aussi que Fondane a relevé des erreurs dans le texte imprimé et les a corrigées, mais il n’est pas aisé de déchiffrer ces corrections.
Pour la plupart, ces notes de lecture sont inscrites dans les marges latérales extérieures (sur les pages paires, dans la marge de gauche et sur les impaires, dans la marge de droite) mais parfois elles se trouvent dans la gouttière ou bien près de celle-ci et, plus rarement, dans les marges latérales intérieures. On compte plus de trois cents annotations dans l’Ancien Testament et une cinquantaine dans le Nouveau[7]. La grande majorité des annotations sont au crayon à papier, mais la couleur noire est parfois très pâle, à peine visible. On remarque certaines notes en bleu[8], au stylo ou au crayon de couleur, quelquefois le trait noir semble avoir été renforcé par un trait bleu. Je n’ai pas trouvé d’indice permettant de déterminer si les couleurs bleue et noire ont été utilisées par Fondane dans des périodes différentes, même si cette hypothèse reste fort probable. Elles témoignent d’une re-lecture, mais le laps de temps qui s’écoula entre la première lecture et les suivantes reste inconnu.
Les traits verticaux et les crochets marquent souvent plusieurs versets à la fois. L’intérêt de Fondane s’est porté sur environ trois cent cinquante-six versets de l’Ancien Testament et sur soixante-douze versets ( plus trois phrases d’introduction aux chapitres) de l’Évangile selon Matthieu. D’autre part on remarque que seulement un tiers des trente-neuf livres de l’Ancien Testament a été annoté[9]. Parmi ceux-ci on constate que les plus annotés sont l’Ecclésiaste (quatre-vingt-quatorze annotations) et Job (quatre-vingt-sept annotations)[10]. Pour procurer au lecteur une vue d’ensemble de la répartition des notes de lecture de Fondane et de leur nature, j’ai suivi l’ordre du texte de cette bible.

L’Ancien Testament

1 Le Pentateuque

Toutes les annotations consistent en des traits verticaux, excepté les quelques mots soulignés.

1-La Genèse

À ma grande surprise je n’y ai trouvé aucune annotation mais on remarque que les premières pages, 5-7, qui correspondent aux chapitres 1-4, sont tachées, vraisemblablement lues et relues par Fondane à de nombreuses reprises.

2 -L’Exode

À nouveau, on peut s’étonner de ne découvrir que cinq annotations, une par chapitre dans les chapitres 3, 4, 7, 8 et 32. Dans le chapitre 3 le dernier verset (verset 22) a été marqué par deux traits verticaux dans la marge extérieure, au crayon à papier puis renforcés en bleu : « Chaque femme demandera à sa voisine, à l’habitante de sa maison, des vases d’argent, des vases d’or ; des parures ; vous en couvrirez vos fils et vos filles, et vous dépouillerez l’Egypte. »[11] Fondane a souligné les premiers mots du troisième verset du chapitre 8 : « rîul va foi de brósce » (« Le fleuve regorgera de grenouilles »). Cette image a sans doute frappé l’imagination du poète.

3 - Le Lévitique

On n’y trouve que trois annotations (deux au crayon à papier et une en bleu), une par chapitre dans les chapitres 5, 14 et 25. Dans le chapitre 5, le sujet des versets annotés est l’expiation d’un péché par le sacrifice d’un animal, alors que dans le chapitre 25 il s’agit des règles d’entraide entre frères. La troisième annotation, la plus intéressante à mes yeux, est celle du verset 10 du chapitre 14, dans lequel sont énoncées les règles de purification du lépreux par le pontife. Fondane a souligné d’un trait bleu les mots « flórea făineĭ » (fleur de farine) et a ajouté à côté, dans la marge (droite, extérieure), un mot « lamurā »,[12]c’est-à-dire la meilleure partie, le fin du fin.

4 - Les Nombres

Le chapitre 5 s’ouvre sur l’ordre donné aux enfants d’Israël de renvoyer du camp les lépreux, mais ce ne sont pas ces versets qui ont été annotés ; les deux annotations de ce chapitre concernent la femme infidèle. Dans le chapitre 22 les versets 10-18 parlent de la la malédiction de Baalam.

5 -Le Deutéronome

La dernière annotation du Pentateuque, dans le chapitre 24, a pour sujet le fait que le jeune marié doit être exempté du service militaire pendant un an.

2 - Job

Trente-trois des quarante-deux chapitres de Job présentent de nombreuses annotations[13], au total quatre-vingt-sept. De manière générale, on remarque que les chapitres les plus annotés sont ceux dans lesquels Job prend la parole[14] et ceux où s’exprime l’un des amis de Job, Eliphaz. Quant à la réponse de Dieu à Job dans les chapitres 38-41, elle n’a suscité que quatre annotations. Le chapitre 7 est celui qui en comporte le plus, sept « marques » de lecture qui concernent plus de la moitié des versets du chapitre. Fondane a inscrit dans les marges du texte de Job non seulements des traits verticaux, plus ou moins longs, mais aussi des sortes de crochets arrondis ou bien des crochets arrondis auxquels il a ajouté deux traits horizontaux, comme pour insister sur l’importance du passage annoté.[15]C’est le cas pour le verset 17 du chapitre 7 : « Qu’est-ce que le mortel que tu le prises tant et portes ton attention sur lui ? ». Le personnage de Job, le cri de Job résonne dans toute l’œuvre de Fondane, aussi bien dans sa poésie que dans ses essais. Il n’est donc pas surprenant de trouver dans les pages de ce livre des notes de lecture en si grand nombre. Une étude approfondie devrait leur être consacrée afin de mettre en lumière tout ce qui, dans l’expérience existentielle de cet homme confronté au Mal, a nourri l’inspiration du poète. Le verset 22 du chapitre 9 a retenu mon attention : « Tout revient au même : aussi dis-je que juste et méchant, il les fait également périr. » Ce reproche adressé à Dieu se retrouve, en miroir, dans le tableau XVI du Mal des Fantômes[16] :

Pourquoi, Seigneur, au centre de ton lustre
Mis-tu ce grand Soleil pour éclairer
D’un même amour les justes – et l’injuste ?

3 - Les Psaumes et les Proverbes

Seul le psaume 15 a retenu l’attention de Fondane et plus précisement la troisième proposition du verset 5[17], marquée par un petit arc au crayon : « qui, ayant juré à son détriment, ne se rétracte point  ». Par contre, un tiers des chapitres des Proverbes, onze chapitres sur trente-et-un, sont annotés au crayon à papier. Presque dans tous les cas on ne trouve qu’une seule annotation par chapitre[18]. C’est souvent de la femme adultère [19] qu’il est question dans les passages annotés, mais la femme « vaillante » et fidèle, décrite dans le chapitre 31, a aussi fait l’objet d’une annotation, au début du long passage qui lui est consacré. Dans le chapitre 30 verset 19, le mot « urma », qui signifie « trace », a été écrit, au crayon, à deux reprises – une première fois en dessous et une seconde fois au-dessus de deux occurrences du même mot : « calea » (voie, chemin). Le mot ajouté semble préciser le sens de « calea ». De plus, le mot « cu » dans la phrase « Si calea bărbatului cu fecĭoră. » a été corrigé (ajout d’un accent circonflexe) ou bien barré. L’annotation des versets 15-18 du chapitre 5, marqués par trait vertical avec, en bas, une sorte de petite ellipse est particulièrement intéressante à mes yeux, car le poète y a trouvé un de ses thèmes de prédilection – le thème de l’eau :

15Bois [donc] l’eau de ta citerne et l’onde qui coule de ta fontaine. 16Tes sources doivent-elles se répandre au dehors, tes cours d’eau arroser les places publiques ?
17 Réserve-les à toi seul ; que les étrangers ne les partagent pas avec toi !18 Qu’ainsi soit bénie ta source, et puisses-tu trouver la joie dans la femme de ta jeunesse !

4 - L’Ecclésiaste

Les quatre-vingt-quatorze annotations[20] dans ce livre constituent un cas particulier. En effet, Fondane indique explicitement sa démarche : « Adnotatii după Renan – » (Annoté selon Renan), mots qu’il a écrits à gauche du titre du livre. Il a lu et annoté l’Ecclésiate en se référant à un ouvrage de Renan, mais il ne précise pas lequel. Cependant, il cite une note de Renan[21]dans le chapitre 11, ce qui m’a permis d’identifier avec certitude la source. Il s’agit d’une traduction et analyse de l’Ecclésiaste.[22] Les chiffres romains, I-XXVII, correspondent aux chapitres de la traduction de Renan, qui s’est octroyé la licence de partager les douze chapitres du canon biblique en vingt-sept. Les notes de Fondane, écrites en roumain, hormis celle préliminaire à côté du titre, sont très nombreuses (26 ! ) mais l’écriture très petite est à peine déchiffrable. Je n’ai pu lire et comprendre que les deux derniers mots, écrits dans la marge intérieure, le long des derniers versets du livre (chapitre 12, versets 11-14) : « epilogul » et « resumatul » qu’il n’est nul besoin de traduire. En français par contre, les lettres tracées sont plus larges, donc lisibles. Ainsi, j’ai pu lire aisément la citation de la note de Renan qui a été évoquée précédemment et la phrase « il faut se défier », écrite le long des derniers versets du chapitre 10 (versets 19-20). Cette phrase aussi se trouve dans la traduction de Renan.

5 - Le Cantique des Cantiques

Seuls trois versets sont annotés dans ce livre : chapitre 4, verset 4 ; chapitre 7, versets 2 et 7[23]. Cinq métaphores ont retenu l’attention du poète : le cou de la bien-aimée est comparé à la tour de David, son giron est une coupe arrondie, son corps une meule de froment bordée de roses[24], sa taille semblable à un palmier et ses seins à des grappes. Dans Ulysse[25] , Fondane se réfère explicitement au Cantique des Cantiques et évoque Sulamite :

il bâille quand on chante le Cantique des Cantiques,
tu lui parais trop noire, bergère Sulamite.
Sulamite, je t’ai vue. Tu gisais sur la terre russe
ouverte comme un jeune melon, parmi le bric-à-brac
d’un univers hagard jeté sur le marché aux puces !
Elle chante encore en moi ta chevelure rousse


Remarquons que d’autres images ont nourri l’imagination du poète : la bergère est noire et ses cheveux roux.[26]

6 - Les prophètes Isaïe, Ezéchiel et Osée

Le nombre total des annotations dans les livres de ces trois prophète est de quarante ; Ezéchiel est le plus annoté – vingt-trois annotations. Le livre du prophète Osée, le seul des « Petits Prophètes » qui garde la trace de la lecture de Fondane, ne présente que deux annotations, l’une dans le premier chapitre et l’autre dans le second.

Les quinze annotations que l’on trouve dans le livre d’Isaïe ne concernent que douze chapitres sur soixante-six[27]. Dans certains versets marqués, Isaïe dénonce le relâchement des mœurs du peuple d’Israël, en particulier des habitants de Jérusalem (femmes et dignitaires corrompus), conduite qui attire la colère de Dieu et qui sera durement sanctionnée. D’autres ont pour sujet le jour du Jugement divin contre les divers ennemis de Sion, tels l’Égypte et Édom, les violentes représailles divines mais aussi les récompenses accordées aux justes et les miracles qui permettront aux sourds d’entendre, aux boiteux de courir et aux muets de chanter. Dans le chapitre 6, ce sont des séraphins et leurs six ailes qui ont retenu l’attention du poète[28]. Tous les traits verticaux ou crochets arrondis ont été tracés au crayon.

Seuls cinq des cinquante-deux chapitres du livre de Ezéchiel, le troisième des « Grands Prophètes », présentent des annotations : les chapitres 16, 18, 20, 22 et 23. On compte vingt-trois signes graphiques (traits verticaux et ellipses), tous au crayon, un mot écrit et un signe qui ressemble au chiffre « 2 » [29]. Fondane s’est particulièrement intéressé au chapitre 16, où l’histoire du peuple d’Israël est présentée sous une forme allégorique : l'union conjugale de Dieu et de Jérusalem, qui représente tout le peuple. Les premiers versets annotés (10-12) décrivent les merveilleux cadeaux offerts par Dieu à son épouse : broderies, parures et bijoux. Dans le verset 13 on retrouve les mots « flórea făineĭ » (fleur de farine). Cette fois ils ne sont pas soulignés ; Fondane a juste ajouté en dessous le mot « lamurā », qui, nous l’avons précisé auparavant, signifie : la meilleure partie, le fin du fin. Les vingt autres marques d’annotations concernent la déchéance d’Israël, comparée à une prostituée et une seule, la punition divine qui mettra fin à cette conduite. Le verset 35 est en quelque sorte encadré[30], à droite et à gauche par deux signes, petites ellipses auquelles sont accolés des petits traits horizontaux  :

35 De aceea ascultă, curvă, cuvîntul Luĭ Iehova ; [31]

 

Les chapitres 18 et 20[32] ne comportent chacun qu’une seule annotation, d’un verset unique. Dans le premier, il s’agit des péchés d’Israël, et dans le second le prophète se plaint d’être traité de « conteur d’allégories ». Dans le chapitre 22 (trois annotations concernant neuf versets) l’attention du lecteur s’est portée sur les abominations diverses de Jérusalem – idolâtrie, crimes, débauche, corruption, alors que dans le chapitre 23, où le prophète compare la vie dissolue de Samarie et de Jérusalem, est annotée la phrase d’introduction au chapitre[33] puis sont annotés treize versets bibliques (huit annotations) ;tous décrivent comment les femmes se livrent à la prostitution.

Dans le livre du prophète Osée il est aussi question de prostitution et d’adultère. Dans le premier chapitre, Dieu ordonne au prophète de s’unir à une prostituée car, dit-il : « ’ […] ce pays se prostitue vraiment en délaissant l’Éternel’ ». L’exégèse interprète cette injonction comme la représentation symbolique de l’adultère du peuple d’Israël.

7 - Daniel 

Le livre de Daniel est l’un des plus annotés : huit de ses douze chapitres comportent des marques de lecture, au total trente-trois. Pour la plupart, ce sont des traits verticaux (au nombre de vingt-cinq), mais on trouve aussi des crochets arrondis (six), une petite croix et un mot souligné avec insistance par six traits. Certaines annotations ont été tracées au crayon à papier à mine sèche, d’autres au crayon à papier à mine grasse, comme c’est le cas pour le mot souligné. Parfois encore, le trait d’une couleur légèrement bleutée a peut-être été fait au stylo.
Du premier chapitre Fondane a retenu les circonstances historiques – la prise de Jérusalem par Nabuchodonozor, roi de Babylone (verset 1), le fait que Daniel appartenait à une famille illustre, royale ou du moins noble (verset 4) et que, emmené à Babylone pour servir le roi, il resta attaché aux préceptes de la loi de Moïse et refusa « de se souiller par les plats du roi » (versets 8-10). Le second chapitre est le chapitre le plus annoté : neuf signes qui concernent en tout seize versets. On y apprend comment Daniel a réussi, grâce à une révélation divine, à raconter et expliquer au monarque un songe particulièrement troublant. Le poète a marqué les versets qui constituent la trame du récit : menaces du roi envers les astrologues incapables de répondre à son attente ; ordre du roi de faire périr tous les sages de Babylonne, y compris Daniel ; Daniel apprend la raison de la colère du monarque ; Daniel remercie l’Éternel qui lui a révélé le songe ; Daniel raconte au roi le songe[34] et enfin Nabuchodonozor reconnaît la suprématie du Dieu d’Israël. Dans le quatrième verset du troisième chapitre, le mot « limbelor » (langues ou idiomes) est souligné. Les versets 5, 19 et 29 sont eux aussi annotés. L’annotation en forme de croix se trouve entre la phrase d’introduction du quatrième chapitre et le premier verset : difficile de savoir si le sujet du chapitre « songe de l’arbre » ou bien le verset qui répète la formule « à toutes les nations, à tous les peuples et idiomes » est l’objet de cette marque de lecture. Des images ont frappé l’imagination de Fondane : celle du cœur d’homme remplacé par un cœur d’animal (versets 16-17) puis celle du corps de Nabuchodonozor, sur lequel poussèrent des poils et des ongles comme des griffes d’oiseaux (fin du verset 33). Le chapitre cinq comporte sept annotations. À trois reprises il y est question des vases d’or et d’argent pris par Nabuchodonozor dans le temple de Jérusalem, et trois versets annotés ( deux annotations) rappellent au roi Balthazar, fils de Nabuchodonozor, la punition divine infligée à son père. Dans les chapitres 6 et 8 on ne trouve par chapitre qu’une seule annotation, d’un verset unique. Dans le douzième et dernier chapitre de Daniel, Fondane a marqué d’un trait dans la marge les versets 10 et 11 qui décrivent ce qui arrivera lors des temps messianiques :

10[…] mais les impies exerceront leurs impiétés, et tous les méchants manqueront de compréhension, tandis que les sages comprendront.11Et depuis le moment où sera supprimé l’holocauste perpétuel et établie l’abomination horrible […]

Le Nouveau Testament

Plus de la moitié des chapitres de l’Évangile selon Matthieu sont annotés : seize sur vingt-huit. Dans le chapitre 5 par exemple, quatre versets du « Sermon sur la montagne » ont retenu l’attention de Fondane et ont été marqués par trois petits traits verticaux, renforcés par un long crochet ouvert qui commence au verset 3 et descend jusqu’au verset 6 inclus. Au-dessus du mot « spiritul » du verset 3, un mot a été ajouté, que je n’ai pu déchiffrer. La première phrase du verset 13, phrase sur laquelle s’ouvre la parabole, a été soulignée : « Vous êtes le sel de la terre. »[35] Dans le chapitre suivant, une parenthèse signale les versets 31-33 et le nom d’Oscar Wilde a été inscrit[36] :

31 Ne vous inquiétez donc pas, en disant : « Qu’allons-nous manger ? qu’allons-nous boire ? de quoi allons-nous nous vêtir ? »32- Tout cela, les païens le recherchent sans répit -, il sait bien, votre Père céleste que vous avez besoin de toutes ces choses.33Cherchez d’abord le royaume et la justice de Dieu, et tout cela vous sera donné par surcroît.


Divers versets ont été soulignés, en entier ou bien en partie, par Fondane. Voici un aperçu de ce qui a suscité l’intérêt du lecteur, expressions ou métaphores : chapitre 7, 7 – « […] frappez, on vous ouvrira. » ; chapitre 9, 5 – « […] ‘Lève-toi et marche’ ? » ; chapitre 10, 5 – «  […] ‘Ne prenez pas le chemin des païens […]’ »  et chapitre 10, 16 – « […] soyez donc rusés comme les serpents et candides comme les colombes. » ; chapitre 12, 8 – « Car il est maître du sabbat, le Fils de l’homme. » ; chapitre 13, 9 – « Entende qui a des oreilles ! » et chapitre 13, 13 – « […] parce qu’ils regardent sans regarder et qu’ils entendent sans entendre ni comprendre ; »[37] ; chapitre 22, 21 – « […] Rendez donc à César ce qui est à César, […] ».

Cette ébauche d’une étude des annotations de Fondane m’a confortée dans le sentiment que nous disposons d’une source précieuse. Jusqu’à présent j’ai cherché à retrouver les sources bibliques des images, des métaphores, repérables dans la poésie fondanienne. Le cheminement inverse : partir de ce qui a retenu l’attention du poète lors de sa lecture et en rechercher les traces, ou les réminiscences dans les poèmes, pourrait mettre en lumière ce qui a pu nous paraître anodin ou énigmatique, et nous permettrait d’affiner notre analyse poétique.
Si Fondane, cet « homme de l'Ancien Testament », a dû lire la Bible non seulement dans sa langue maternelle, mais également en français, on peut supposer qu’on y trouverait également des notes de lecture. Aussi je caresse l’espoir de retrouver un jour cette bible française.

Je remercie Carmen Oszi de son aide précieuse pour le déchiffrage et la traduction exacte des mots.


[1] Société biblique, fondée en 1804, qui a pour but de diffuser la bible. Les archives de la société ontété confiéesà la bibliothèque de l’Université de Cambridge.

[2] Le sommaire indique, comme il se doit, la pageà laquelle commence chaque livre biblique, mais il comporte unélément supplémentaire : le nombre de chapitres dans chaque livre.

[3] Elles ontétéétablies par Sir Charles William Wilson, officier britannique qui fut cartographe, archéologue et géographe (1836-1905) et un pasteur anglican, W. Wright. Sir Charles William Wilson avait effectué en 1864 des travaux topographiques à Jérusalem, à l'époque où le Fonds d'exploration de Palestine est créé par les Britanniques. C'est à lui qu'on doit la découverte de l’arche qui porte son nom (arche de Wilson), située dans la vieille ville de Jérusalem, au nord du Mur des Lamentations.

[4] L’Église anglicane a été très fortement influencée par la Réforme protestante.

[5] On trouve six occurences de soulignement dans l’Ancien Testament et quatorze dans le Nouveau.

[6] Ils ne sont malheureusement pas nombreux, mis à part les annotations de L’Ecclésiate, qui constitue un cas particulier dont il sera question par la suite. De plus, l’écriture est souvent illisible.

[7] J’ai essayé de compter chaque élément – trait, crochet, mot unique ou bien groupe de mots (écrit ou souligné) – mais ces chiffres ne sont donnés qu’à titre indicatif, pour donner un ordre de grandeur. Ils seront plus précis lorsque la liste exhaustive des annotations, qui est en cours d’élaboration, sera achevée. Celle-ci comportera une description de chaqueélément (nature et emplacement) et le texte biblique qui est l’objet de la note, texte en roumain suivi de la version française .

[8] Sauf erreur de ma part, ce n’est que dans l’Ancien Testament que cette couleur a été utilisée.

[9] Liste des vingt-six Livres sans annotations: La Genèse ; Josué ; Les Juges ; Ruth ; Samuel I et II ; Les Rois I et II ; Chroniques I et II ; Ezra ; Néhémie ; Esther ; Jérémie ; Les Lamentations ; Joël ; Amos ; Obadia ; Jonas ; Michée ; Nahoum ; Habacuc ; Cephania ; Haggaï ; Zacharie et Malachie.

[10] Les chiffres ne sont donnés, ici et par la suite, qu’à titre indicatif. Ils ne peuvent en aucun cas révéler l’impact du texte biblique sur le lecteur.

[11] Nous citons le texte français de la Bible d’après l’édition suivante : La Bible, traduite du texte original par les membres du rabbinat français sous la direction de M. Zadoc Kahen, Grand Rabbin, Librairie Durlacher, Paris, 1957.

[12] Il ne connaissait peut-être pas la signification de « flórea făineĭ » et après vérification, dans un dictionnaire (ou une autre source) il aurait ajouté le sens de l’expression.

[13] Les chapitres non-annotés sont les suivants : 18, 20, 24, 25, 33, 36, 37, 38 et 41.

[14] Près des deux tiers des annotations du livre.

[15] Une forme proche de celle-ci :

[16] Le Mal des fantômes, Verdier, 2006, p. 94.

[17] Correspond au verset 4 dans le texte français, car le sous-titre du psaume « Psaume de David » constitue le premier verset en roumain. Cela n’est pas systématique pour les tous les autres psaumes dotés d’un sous-titre.

[18]] Une annotation dans les chapitres 5, 6, 7, 11, 14, 17, 20, 27 et 31 ; trois annotations dans le chapitre 23 et quatreéléments d’annotation dans le chapitre 31.

[19] Chapitres 6, 7, 11, 23 (annotation du verset 27) et 30.

[20] Traits verticaux, sortes de « S » inversés (Ƨ) mais aussichiffres romains, mots ou phrases entières en roumain ou en français.

[21] « 1) Ceci doit être entendu conformément au passage du Coran : ‘ Les femmes sont votre champ. ‘ II, 223 ».

[22] Ernest Renan, L’Ecclésiaste, traduit de l’hébreu avec une étude sur l’âge et le caractère du Livre, Paris, Calmann Lévy, 1882. On trouve la note à la page 142.

[23] Correspondent aux versets 3 et 8 dans la bible en français.

[24] En roumain, le texte est plus proche de l’hébreu. Il est question du ventre de la bien-aimée (Pântecele) et les fleurs sont des lys (crinĭ) et non pas des roses.

[25] Le Mal des fantômes, Verdier, 2006, p. 34.

[26] Dans le texte biblique français, chapitre 7 : « les boucles de tes cheveux ressemblentà l’écarlate ». En roumain : « Pĕrul capuluĭ tĕŭ ca purpura ».

[27] Les chapitres 1, 2, 3, 6, 19, 21, 22, 25, 29, 31, 34 et 35. Dans le chapitre 1 on trouve trois annotations, dans le chapitre 3, deux et dans chacun des autres une seule.

[28] Il s’agit dela scène solennelle lors de laquelle Isaïe reçoit de Dieu sa mission de prophète.

[29] Je n’ai malheureusement pas comprisà quoi se rapporte ce chiffre ou signe, et je n’ai pas trouvé non plus ailleurs dans les pages précédentes, un chiffre « 1 » qui aurait constitué un indice permettant une hypothétique interprétation..

[30] Il me semble qu’il s’agisse d’un cas unique, maisà ce stade de mon travail, je ne peux l’affirmer avec certitude.

[31] En français : « C’est pourquoi, prostituée, écoute la parole du Seigneur. »

[32] Le verset 49 qui est annoté correspond en français au chapitre 21, verset 5.

[33] « Idolatria Samarieĭşi a Ierusalimuluĭ se compară cu purtarea a doě curve. » Le sujet du chapitre est clairement annoncé : la conduite des deux prostituées !

[34] Il décrit la statue dont les pieds et les orteils sont en argile et en fer.

[35] Nous citons le Nouveau Testament d’après l’édition suivante : Nouveau Testament, traduction œcuménique de la Bible, Société biblique Française. Les Éditions de Cerf, Paris, 1985.

[36] Fondane était-il en train de rédiger ses articles sur Oscar Wilde  lorsqu’il annote ces versets ? Peut-on en retrouver un écho dans les articles ? Le cas échéant, on pourrait supposer que cette annotation date de cette même période, c’est-à-dire 1921, puisque les deux articles, « Oscar Wilde », I-II, ont été publiés dans la revue Rampa, les 21 et 22 septembre 1921.

[37] Le verset suivant (chapitre 13, 14), qui rappelle la prophétie d’Isaïe, est marqué d’un trait oblique dans la marge, donnant ainsi toute sa signification à l’image retenue.